Souvenirs de guerre

CUREAU Joseph

J'ai écrit mes souvenirs de guerre en juin et juillet 1953, à l'âge de 74 ans. Dans tout ce que j'ai écrit, ce n'est que ce que j'ai vu, j'ai vécu et entendu.

 Je recopie ces pages le 19 décembre 1953.

Note du webmaster (20 février 2015): J'ai fait correspondre le texte de mon grand-oncle Joseph (au centre) avec l'historique officiel du régiment (colonne de gauche) et les fiches matricules des soldats (colonne de droite).
Dès la mobilisation, le 2 août 1914 le 71e Régiment Territorial d'Infanterie s'est constitué à Angers, sous le commandement du Lieutenant - Colonel Mortier:
Le 8 août, il est prêt au départ à l'effectif de :
Officiers 44
Sous -officiers et soldats 3108
Chevaux et mulets 69
1er bataillon: Chef de bataillon Virey
1ere compagnie: Capitaine Véran, lieutenants Fafet et Benoist.
Le 1er bataillon est embarqué le 9 août, le 3e bataillon le 10, l'Etat -
Major du régiment et le 2e bataillon le 11.
Le régiment est affecté à la défense du Camp retranché de Paris, zone nord: Ecouen, Domont, Montlignon, Montmorency, Ezanville, Moiselles.
Mobilisé à Angers au 71e régiment d'Infanterie territoriale 1ère compagnie le 6 août 1914, nous quittons Angers le dimanche 9 août dans la soirée. Nous sommes à Tours, à la tombée de la nuit et le lendemain matin à Ivry. On y passe la journée et le lendemain, nous entrons à Paris à la porte d'Ivry. Nous suivons les fortifications jusqu'à la porte des Flandres. On traverse Aubervilliers où nous avons bon accueil. Il y avait des seaux de vin le long des trottoirs, puis plusieurs villages, on traverse Villiers-le-Bel et nous arrivons au fort d'Ecouen où nous restons 10 jours. Puis quelques jours à Ezanville puis quelques jours à Domont puis à Montmorency où nous voyons le dernier dimanche d'août passer en auto un bataillon du 7e territorial, il se dirige vers Soissons. On pensait qu'ils étaient veinards de voyager ainsi, mais hélas quand en 1916, nous avons été du coté d'Attichy, il n'était pas rare de voir des tombes éparpillées du 7e territorial.

Une bonne montre

Au mois de novembre 1914, nous étions aux travaux au nord de Montmorency, quand l'officier qui nous commandait s'aperçut que sa montre s'était arrêtée. Il demande l'heure à un camarade, quand un autre plus pressé dit :j'vas bin vous l'dir mon lieutenant", tirant sa montre, il dit "9h37 à la gare Saint-Laud, j'avais pris l'heure en partant." Nous étions partis d'Angers le 9 août !

La fiche militaire de Cureau Joseph, matricule 621, classe 1899,  indique qu'il est arrivé au corps le 7 août 1914.
Son historique de campagne démarre bien le 6 août (a l'int) et le 10 août (aux armes)
Le 11 décembre, le Régiment va occuper les cantonnements suivants:
E.-M.- C. H. R. 1er et 3e bataillons: Véarmes.
2e bataillon 5e compagnie: Vilaine
6e, 7e, 8e compagnie:s Belloy
Deux ou trois jours plus tard, nous quittons Montmorency le soir, vers 8 heures, nous marchons pendant trois heures. Nous croisons les civils qui fuyaient l'avance allemande avec tout genre de véhicules, depuis le chariot à quatre roues jusqu'à la voiture d'enfant. On arrive dans un patelin, il y avait des soldats de couchés tout le long des trottoirs. On entre dans la cour d'une ferme et à trois heures, on nous emmène dans la plaine, nous y restons toute la journée. Dans la matinée, j'avais fait partie d'une patrouille (pour nous distraire), on va dans un tout petit patelin, les civils partaient aussi, ils donnent à chacun de nous deux à trois litres de vin que nous avons apporté aux copains. Le soir, on nous conduit en une tranchée en avant du fort d'Ecouen, avec l'ordre de tirer sur tout ce qui se présenterait devant nous. Nous restons là deux jours et deux nuits, à ce moment-là les boches n'étaient qu'à 8 ou 9 kilomètres de nous. Puis ce fut la bataille de l'Ourcq et de la Marne. Ils s'éloignèrent, on le les regrette pas ! Nous restons dans les environs de Bouffémont, Chauvry, Sannois, Domont puis nous retournons à Montmorency. Nous faisons la garde des poudrières et de la circulation.  
Le 16 décembre, les cantonnements sont les suivants:
E.-M. et 1er Bataillon: Catenoy.
2e Bataillon Sacy-le-Grand,
3e Bataillon Courcelles.

Du 16 au 29, l'instruction est reprise.
Nous quittons les environs de Paris vers le 12 décembre. Partis de Viarmes le matin à 6 heures, nous passons à Chantilly devant l'hôtel Condé où était l'État-major du général Joffre. Puis à Creil, à Liancourt pour ne citer que les principaux patelins. Nous avons fait ce jour-là une marche de 40 kilomètres. Arrivés le soir dans un patelin, le Colonel qui nous attendait nous dit : "la 1ère compagnie, vous avez encore un kilomètre puis vous allez être très bien". Il y en avait près de deux mais au moins un kilomètre de côte. Arrivés dans un tout petit patelin, notre logement fut un vaste grenier, toute la compagnie y logea. Quand nous fûmes tous montés, ce qui demanda pas mal de temps, le capitaine vint nous voir, content de voir que nous avions de la paille, et nous dit : "Tachez de bien dormir, on s'occupera de manger demain", vous ne vous doutez pas des mercis ! Heureusement que le lendemain, il n'y avait que 15 kilomètres à faire pour aller à Catenoy, car nous étions vannés. Nous restons là une douzaine de jours. 
Le 30 décembre, le Régiment est affecté à la 26e Division, et envoyé dans la Somme.
Le 4 janvier 1915, la 26e Division occupe, face à l'est, un front qui s'étend de la grande route de Roye à Amiens jusqu'à Le Cessier, au sud de Beuvraignes.
Le 3e Bataillon travaille, de concert avec le 121e d'Infanterie vers
l'Echelle-Saint-Aurin.
Le 1er Bataillon se joint au 92e d'Infanterie dans les sous -secteur de Tilloloy, Le Cessier, Beuvraignes.
Le 2e Bataillon, d'abord en réserve à Faverolles, relève
ensuite le 3e Bataillon. Ces relèves ont lieu tous les quatre jours et ensuite tous les huit jours.
Sans opération de grande importance, l'ennemi a cependant bombardé, par intermittence, les ouvrages occupés et les hommes ont eu à lutter en même temps contré les intempéries de la mauvaise saison.
Pendant cette période, les pertes ont été de :
Un officier tué 
Sous-officiers et Soldats: Tués: 9 Blessés: 55.
Nous arrivons à Boulogne-la-grasse, le 1er janvier, c'était le dernier cantonnement avant les tranchées. Dans le dernier bourg que nous avons traversé, le colonel nous avait fait rassembler sur une place pour nous souhaiter la bonne année. Après nous l'avoir souhaitée, et nous dit :à partir de ce jour, il ne faut plus penser ni à vos femmes ni à vos enfants, il ne faut plus penser qu'à défendre la patrie en danger. "
Nous prenons les tranchées le 4 janvier au soir, au Cessier face à Beuvraignes (Oise). Pour commencer, nous ne restons que deux 
jours en première ligne et deux jours un peu à l'arrière. Nous sommes encadrés par de l'active au début c'était le 92 d'infanterie de Clermont-Ferrand. Plus tard, nous restons quatre jours de suite en première ligne, nous restons en ce secteur et celui de Tilloloy jusqu'au début d'avril.
A partir du 5 avril, le 71e Territorial quitte la 26e Division et est-affecté au 13e C. A., dont le Q. G. est à Bessons- sur-Matz.
Il cantonne à Lataule, Cuvilly, Martemer, où il est
au repos jusqu'au 9.
Entre le 9 et le 11 avril, le Régiment est amalgamé avec le 38e régiment actif.
Le 15 juin, la 172e Brigade, et la 86e D. I. sont disloquées, le 71e est mis directement à la disposition du 13e C. A.
Le Régiment reprend sa constitution normale le 16 juin; il est mis au
repos et fournit des travailleurs au Génie.
Le 1er juillet, le 13e C. A. et les unités qui lui sont rattachées passent de la 2e à la 6e Armée.
Le 5 juillet, le Régiment reprend les tranchées, amalgamé à nouveau
avec des compagnies actives des 38e et 86e régiments.
Le 28 juillet, l'amalgame est supprimé. Le front de la 49e Brigade est tenu par les trois régiments accolés : 38e, 86e, 71e Territorial.
Le Régiment occupe les postes suivants : 1er Bataillon Mélicocq
Le 2 novembre, le 71e Régiment Territorial d'Infanterie quitte la 49e Brigade après avoir reçu les félicitations du général Mordacq, commandant la Brigade.
Pendant cette période, les pertes ont été de:
3 Officiers blessés .
Sous- Officiers et Soldats Tués : 6. Blessés: 45.
Puis après quelques déplacements et quelques jours de repos, nous reprenons les tranchées à la ferme d'Attiche et aux environs, toujours dans l'Oise. Le soir du 27 mai, une compagnie du génie et une section de ma compagnie creusaient une tranchée en avant de la ferme par un temps calme et étoilé. Ils piochaient en un sol pierreux à 150 mètres environ des petits postes allemands. Ils ne les laissèrent pas travailler longtemps, car après leur avoir envoyer quelques coups de fusil, ils envoyèrent douze obus. Une escouade de ma compagnie eut deux tués et tout le reste de l'escouade furent blessés dont un est mort à l'hôpital quelques jours plus tard. Le génie avait huit morts et une quinzaine de blessés.
J'étais de sentinelle en avant des travailleurs au petit poste où je fus blessé le 14 juin à l'avant-bras gauche.
Nous restons en ce secteur et celui de Ribécourt jusqu'aux environs de la Toussaint

Un timide

Au mois de mai 1915, nous étions en première ligne, aux environs de la ferme d'Attiche. Un de mes camarades était de sentinelle dans la tranchée, à l'angle d'un bois, quand vint à passer le général de brigade Mordacq (chose assez rare). Comme il savait qu'il n'avait pas à lui rendre les honneurs, aussi regardait-il sérieusement du côté des boches. Le général lui dit en passant :

-"que voyez-vous là ?"

-"Mon général, je ne vois rien"

-"Eh ! bien, si vous voyez 40 allemands venir le long du bois, que feriez-vous ?

-"Mon Général, je me sauverais".

-"Vous mériteriez que je vous fasse fusiller !"

Puis faisant prendre son nom et sa compagnie par son officier d'ordonnance, il ajoute :

-"vous serez traduit en conseil de guerre".

Il eut tout simplement une bonne engueulade de la part du capitaine.


L'ambulance 1915

Quand je fus blessé, le 14 juin 1915, vers quatre heures et demi du soir, je fus avec mon camarade Pionneau, blessé en même temps, conduit à l'ambulance de Longueil-Annel (Oise), soigné par des infirmières anglaises et américaines, des médecins-major américains, mais comme chef de service un médecin-major français, ces infirmières étaient de la religion anglicane, seule une jeune écossaise assistait à la messe que célébrait l'aumônier, dans la salle, le dimanche matin. Nous les appelions "sister", je ne sais pas pourquoi. Je suis resté quatorze jours à l'ambulance et reconduit à ma compagnie avec six jours exempt de service. Mon camarade n'y resta que huit, j'avais retrouvé là, un camarade de ma compagnie, blessé le soir du 27 mai, il avait été trépané. Nous faisions ensemble une petite promenade dans le parc du château d'Annel, il ne pouvait aller au soleil, je suis parti avant lui, il était des environs de Segré. Voici comment est inscrite ma blessure, sur mon livret : "plaie en séton à l'avant-bras gauche, immédiatement au-dessus du pli du coude, porte d'entrée : face interne de l'avant-bras, porte de sortie : face externe à la même hauteur, les deux orifices à 7 centimètres environ. Le médecin major de 1e classe. Renou."
Le seul tué déclaré dans la notice du régiment au 27 mai 1915 est le soldat Bourigault Albert René, matricule 1019 né le 26 janvier 1870 à Angers, employé de commerce.


Joseph est blessé le 14 juin 1915 à la ferme d'Attiche.
Soigné à l'ambulance de Longueil-Annel (Oise).
Soldat de 1ere classe le 20 juillet 1915

L'ami Pionneau  est Jean-Louis Pionneau, matricule 356, né le 16 novembre 1878 à St Germain des Prés (49), cultivateur. Il fut blessé à 2 autres reprises le 19 avril 1917 et le 23 juillet 1918. Croix de guerre étoile de bronze.
Le Régiment est affecté à la 26e D. I. et se rend par étapes vers ses
emplacements.
Le 15 novembre, il prend les tranchées dans le secteur Tilloloy-Est et de Tilloloy-Nord à la disposition de la 52e Brigade.
Pendant cette période, les pertes ont été de
Sous-Officiers et Soldats Tués: 7. Blessés : 49.
puis nous remontons dans la Somme aux environs de Montdidier. Nous cantonnons à Faverolles et nous reprenons les tranchées vers le 20 novembre à Tilloloy, là nous sommes à la limite de l'Oise et de la Somme. Nous restons jusqu'à la fin de janvier 1916.

Le colonel

Au mois de novembre 1915, nous sortions de faire 10 jours de première ligne, en le secteur de Tilloloy par une période mouillée. Aussi c'est mouillés et couverts de boue que nous avons rejoint le petit bourg de Fécamp dans la Somme. A cinq, six kilomètres d'où nous étions, il y avait une mare à l'entrée du bourg. On y a lavé nos fusils avant de gagner notre cantonnement qui était un grenier où était ramassée toute la paille pour nourrir les deux vaches de l'exploitation. A peine installés, l'ordre vint d'aller former le poste de police qui avait été abandonné la veille par ceux qui étaient venue nous remplacer. C'était le tour à mon escouade de prendre la garde. Arrivés au poste, ce fut mon tour d'être de faction, mais avant j'avais regardé sur la feuille de consigne pour qui il fallait faire sortir le poste (pour le major de cantonnement seulement) Comme il y avait un général dans le patelin, je savais à quoi m'en tenir. Aussi, c'est tel que j'étais, arrivé des tranchées, que je pris la faction. J'étais là depuis un bon moment, quand je vois venir notre colonel. Quand il arrive à distance, je lui rends les honneurs, il me crie :

-"sentinelle, vous ne connaissez pas vos consignes, vous ne faites pas sortir le poste pour le chef du régiment ?"

Je lui réponds :

-"mon Colonel, pour le major de cantonnement seulement !"

Il réplique :

-"Appelez-moi le chef de poste"

J'appelle le caporal, je le vois encore, mon pauvre cabot, en train de boutonner sa petite veste, le colon lui dit

-"faites voir la feuille de consignes"

c'est en tremblant qu'il la présente au colonel, il la parcourt, puis me regardant, il dit au caporal :

-"est-ce une tenue pour prendre la garde, vous avez là une sentinelle qui est sale, dégoûtante"

Le caporal lui explique que nous arrivons des tranchées, que les hommes n'ont pas eu le temps de se nettoyer.

-"Où sont vos autres hommes ?"

Le caporal lui indique, puis s'avançant pour les voir, il dit :

-"Allez vous nettoyer, vous prendrez la garde demain."

Mais le lendemain, ce n'était plus notre tour de prendre la garde, aussi nous sommes partis le matin à 6 heures pour retourner à Tilloloy creuser un boyau qui avait été tracé pendant la nuit pour pouvoir aller en première ligne, l'autre étant impraticable. On a travaillé courbés toute la matinée étant en pleine vue des lignes allemandes, mais comme ils en faisaient autant de leur côté, ils ne nous envoyèrent que quelques coups de fusil. Il aurait été bien préférable de rester la veille à prendre la garde, on aurait été exempt de cette corvée-là.


Les avions

Je ne vous dirais pas combien j'ai vu d'avions d'abattus. On était en première ligne à Tilloloy, dans les premiers jours de décembre 1915, quand un avion allemand franchit nos lignes, il n'alla pas loin, un avion de chasse le poursuivit, puis après, deux ou trois rafales de mitrailleuse le mit en flammes, le pilote fit faire demi-tour à son appareil. A ce moment, on a vu l'observateur sauter et il s'est écrasé près d'une batterie d'artillerie (à ce moment-là, ils n'avaient pas de parachutes). Le pilote fut courageux car il tint la direction jusqu'à ce qu'il perde connaissance. Quand l'avion fit la pirouette, il tomba à cent mètres derrière notre première ligne, et l'avion, de culbute en culbute, tomba deux cents mètres plus loin, entre les lignes. Ce n'était pas le moment d'aller voir car les boches tirèrent au fusil toute la journée et une partie de la nuit. Mais le matin, les débris avaient disparu. On a su, quelques jours plus tard, que c'était le cinquième avion que l'as aviateur Guynemer abattait. Ceci se passait à trois cents mètres d'où j'étais, sur ma droite.

D'après http://jmpicquart les 2e, 3e et 4e victoires de Guynemer eurent lieu les 5, 8 et 14 décembre 1915.
Dans la nuit du 24 au 25 février 1916, le Régiment est embarqué en chemin de fer à Montdidier.
Embarqué à Montdidier, le Régiment débarque
E.-M. et 1er Bataillon, le 25 février, à Sommailles (Meuse).
2e Bataillon, le 26 février, à Villers-en-Argonne.
3e Bataillon, lé 26 février, à Givry-en-Argonne.
La 120e D. I. fait partie du groupement Balfourier pour la
défense de Verdun.
La Division doit occuper le secteur N.-E. de Verdun, entre Vaux et Aix,la 49e Brigade au sud du secteur.
Le 4 mars, la 71e Territorial doit entrer dans le secteur, où il constitue une réserve à la disposition du général commandant
la Division.
Le reste du Régiment fournit des travailleurs qui exécutent leurs
travaux sous un bombardement incessant, ravitaillent, la nuit, les
compagnies des forts et construisent un boyau au fort de Tavannes .
Puis, après quelques déplacements et quelques jours tranquilles, nous embarquons le 24 février au soir à Montdidier pour débarquer le 26 au matin à la gare de Sommeilles-Nettancourt, entre Bar-le-Duc et Verdun. Nous gagnons, par étapes, Dugny à 4 kilomètres avant Verdun. Pendant trois ou quatre jours, nous allons creuser des abris dans les bois, en avant de Verdun. Fatigué, un matin je me fais porter malade. La visite était à quatre heures et demi, le major était installé dans la porte d'un grenier, il y avait une échelle de six à sept barreaux, sitôt que l'on mettait le pied sur l'échelle, il nous demandait ce que l'on avait. A moins d'avoir de la fièvre, on n'était pas reconnu. Nous étions cinq à six de ma compagnie à la visite. La compagnie était déjà partie au travail, mais un caporal était resté pour emmener les non reconnus. Nous avons rejoint doucement, si bien que nous arrivons à l'heure de la soupe. Mais après avoir mangé, il fallait une corvée de trente hommes pour porter des matériaux au tunnel de Tavane. Aussi, je fus avec mes copains de la visite, les premiers désignés. Arrivés au tunnel, il fallait quatre hommes pour faire des travaux, les autres devaient retourner chercher du matériel, mais ils ne sont pas revenus. Nous avons travaillé sans se presser jusqu'à quatre heures puis les boches bombardèrent l'entrée du tunnel et sur la voie, au moins pendant deux heures. Heureusement que nous avions pu nous mettre à l'abri, si bien qu'il était six heures et demi quand nous avons pu partir. Nous étions à sept ou huit kilomètres de Dugny. On avait un copain qui avait fait son congé à Verdun qui connaissait un peu les environs d'autant plus que nous ne voulions pas passer par la ville qui était bombardée ce soir-là. On arrive à Dugny, vers 9 heures, les copains étaient couchés depuis longtemps, notre souper nous attendait. Je me rappelle que c'était du mouton avec des haricots, ils ne brûlaient pas. Avant de nous coucher, on nous a dit de préparer tout notre fourbi, que nous partions le matin à cinq heures pour aller cantonner en nos abris qui n'étaient pas encore recouverts. C'est un jour que je me suis toujours rappelé. Partis de Dugny, nous terminons nos abris avec des rondins, des branchages et de la terre. L'après-midi, nous allions en les endroits que la neige était fondue ramasser des feuilles pour se coucher dessus.

Comme nous étions à Dugny, la bataille de Verdun durait déjà depuis quelques jours. Les blessés qui pouvaient marcher, on leur faisait un pansement et ils allaient rejoindre l'ambulance, ils passaient par Dugny, ceux qui ne pouvaient se rendre le jour couchaient en l'église de Dugny. Aussi le matin, ils venaient aux cuisines roulantes prendre quelque chose avant de rejoindre l'ambulance qui n'était d'ailleurs pas très loin. Je vis un jour, un sergent fourrier qui, blessé à la figure ne pouvait rien prendre qu'un peu de liquide. Il était accompagné d'un soldat d'un autre régiment qui, lui, blessé aux deux bras ne pouvait rien se faire. Le sergent le faisait manger, puis lui servait de bonne d'enfant. Ce qui fait bien voir que si l'aisance et le bonheur nous rendent ingrat et indépendant, la misère nous unit.

Pendant ces très durs combats, les 1er Bataillon, 5e, 7e, 9e, 12e compagnies occupent le fort de Tavannes et ses abords et l'évacuent, le 10, pour faire place au 31e Bataillon de Chasseurs.
Le 10, un nouvel assaut sur Vaux, en trois vagues successives, est
vigoureusement repoussé.
Le 11, la garnison est renforcée par trois compagnies et deux S. M. du 31e Bataillon de Chasseurs. L'encombrement est extrême et la place manque.
Le 12,1e Commandant de Marcillac prend le commandement du fort. Le Colonel écrit au Commandement pour signaler l'état de fatigue extrême des territoriaux du 71e.
Quelques jours plus tard, on nous emmène, un soir au fort de Tavane pour aller en renfort en première ligne au cas où un bataillon de chasseurs à pieds n'arriverait pas. Arrivés au fort, il fallait trente hommes par compagnie pour porter des vivres à ceux qui étaient au fort de Vaux que l'on ne pouvait ravitailler que la nuit. Nous partons 180 vers huit heures pour ne rentrer que le matin à quatre heures et demi. D'un fort à l'autre, il n'y avait guère que deux kilomètres. En cours de route, nous avons été arrêtés, je ne sais combien d'heures, par des tirs de barrage. Enfin, on a pu joindre le fort, l'entrée était éboulée. A l'intérieur, les couloirs étaient pleins de soldats couchés à qui l'on butait dans les pieds. A l'infirmerie, que de cris des blessés à qui l'on faisait des pansements. Le lieutenant Queslin, de la 2e compagnie, qui nous conduisait nous avait dit : "quand vous aurez déposé vos vivres, groupez-vous par trois ou quatre et regagnez Tavane sans m'attendre." Aussi, malgré que les obus nous avaient accompagnés à l'aller comme au retour, tout le monde est rentré sans accident. Ce n'est pas sans avoir vu, au retour, de pauvres bougres qui s'étaient fait tuer, notamment deux brancardiers qui conduisaient un blessé dans une petite voiturette. Nous sommes restés au fort, toute la journée, sans avoir la permission d'aller chercher le café ni la soupe. Se coucher, c'était impossible, nous étions quatorze par lit, qui en temps normal servait pour quatre. Nous quittons le fort, le soir vers 4 heures, nous regagnons nos abris, mais ils étaient occupés par un bataillon qui faisait la halte avant de monter en première ligne. Seulement on a retrouvé notre cuisine roulante, ce qui nous a fait bien plaisir, car on avait le ventre creux, puis on a cherché un coin pour passer la nuit. J'ai trouvé avec mon copain Pionneau un petit trou pouvant nous abriter la moitié du corps. Avec nos toiles de tente, on s'est abrité tant bien que mal, on a dormi mais le matin, on était à moitié frigorifié. Nous reprenons nos abris qui avaient été évacués pendant la nuit, nous restons là une douzaine de jours. Nous ravitaillons les premières lignes en vivres et munitions, mais toujours la nuit. Puis nous rentrons à Verdun. 
Le 15 mars, le Régiment reçoit l'ordre de se retirer du front et de se
regrouper à Verdun, où il est mis à la disposition du Génie, en maintenant une section (10e compagnie) au fort de Vaux, ainsi que les sections de mitrailleuses.
Les généraux, sous les ordres desquels le Régiment a été placé, sont unanimes à le reconnaître. La bravoure et l'endurance des chefs et des soldats ont été remarquables.
Les violents bombardements, les privations de toutes sortes ont été
vaillamment supportées et la valeur du 71e Territorial fut estimée égale à celle d'un régiment actif.
Pendant ce court laps de temps, les pertes ont été:
Officiers tués 2, blessés 2.
Sous Officiers et Soldats  Tués., 49. Blessés : 201.
On est logés en une caserne, mais on allait chaque soir creuser les tranchées en avant de Verdun. Nous partions vers 7 heures pour ne rentrer que le matin à 4 heures. On travaillait pendant 3 ou 4 heures, puis ennuyés, on roupillait au fond de la tranchée. Le nombre des malades augmentait de jour en jour par la dysenterie. J'ai été travailler quatre nuits de suite, j'étais commandé pour la cinquième quand je fus aussi atteint. 80% des hommes étaient malades. 
Le Régiment reste au repos jusqu'au 16 avril.
Le 17, il est embarqué et envoyé dans l'Oise.
Le 23, le Lieutenant-Colonel Mortier quitte le commandement du
Régiment qu'il exerçait depuis la mobilisation. Il est remplacé par le
Lieutenant-Colonel Goehring.
Le 19, le 1er Bataillon est mis à la disposition de la 25e D. I., ainsi
qu'une C. M. et prend les tranchées près de Vic-sur-Aisne.
Le 4 mai, le 71e Territorial relève, en ligne, le 86e d'Infanterie, secteur Moulin-sous-Touvent-la Faloise.
A partir du 31 août, chaque bataillon passe dix jours en ligne et cinq
jours en réserve.
Du 1er au 4 décembre, le Régiment est envoyé dans la région de Meaux, où il est mis a la disposition de la D. E. S. de la 1re Armée pour le service routier.
Pendant cette période, les pertes ont été les suivantes :
Un Officier blessé .
Sous- Officiers et Soldats Tués: 14.Blessés : 50.
Quelques jours plus tard, les camions nous conduisent à Béhonne près de Bar-le-Duc. Puis après plusieurs cantonnements, vers le 25 avril, nous embarquons à Saint-Dizier pour Verberie dans l'Oise. Nous avons passé par la Fere-Champenoise, là, nous voyons à perte de vue, dans la plaine, les tombes fleuries de petites fleurs blanches de ceux qui étaient tombés là en 1914.
Oise 1916.Nous reprenons les tranchées du coté d'Attichy plateau de Quennevière. Moulin-sous-Touvent, plateau de Nouron, c'est là que j'ai vu au bas de ce plateau, dans le cimetière d'un petit village, trois frères en la même tombe, ils étaient du 42e d'infanterie de Belfort et du recrutement de Dijon.
Fin juin, je suis envoyé faire un stage de dix jours à l'instruction du fusil mitrailleur à Breuil-Lamotthe. Nous allions au champ de tir de Compiègne, ce qui nous faisait une marche de 17 à 18 kilomètres aller et retour. On passait à la gare de Rethondes où en 1918 fut signé l'Armistice. J'étais un bon tireur, j'étais prêt de le toucher comme arme quand je suis parti au ravitaillement. Nous avons, dans ces différents secteurs, été plusieurs mois sans voir de civils. Nous logions soit dans des fermes abandonnées, soit dans des carrières à tuffeau, et même en un château où il y avait pas mal de poux et une grande quantité de puces. Un de mes copains en tua, un jour, 60 dans le col de sa capote et le lendemain, il y en avait presque autant. J'étais venu en permission à ce moment-là des totos m'avaient accompagné mais le voyage leur fut funeste.
Fin de septembre, je suis avec deux camarades de la 3e compagnie, envoyé en équipe agricole à la sucrerie de Berneuil-sur-Aisne. Nous avons terminé les battages puis mon travail fut de brasser le blé au moins pendant huit jours. Il y en avait près de 3 000 boisseaux. Quand il fut à peu près sec, on en fit 400 quintaux. Puis on a été occupé à charger les tombereaux de betteraves à sucre qui étaient expédiés par bateaux ou par wagons. La sucrerie était trop près des lignes. Nous étions sept soldats, trois angevins et quatre bretons, on était payé 1,50 francs par jour et nourris tant bien que mal. L'un de nous faisait la cuisine mais il y avait des légumes dans le champ du voisin, il se débrouillait. Nous restons là jusqu'au 1er novembre, le régiment étant relevé du secteur, nous allons cantonner à Pierrefonds, près de la forêt de Compiègne. Nous sommes occupés une partie de l'hiver à bêcher de la pierre en différentes carrières pour élargir les routes. Il se préparait une attaque pour le printemps, elle n'a pas eu lieu, les boches s'étant retirés d'eux-mêmes sur une ligne de défense qu'ils avaient préparée sur Saint-Quentin.

La sucrerie

Quand, le 30 septembre 1916, je fus avec deux camarades de la 3e compagnie, Lucas et Bellanger, envoyé en équipe agricole. Nous étions convoqués le soir à six heures au bureau du colonel. Là, on a l'ordre de se rendre, de suite, au bureau du major de cantonnement de Berneuil-sur-Aisne. Comme j'avais le plus bas matricule, je fus chef de détachement. Je demande à l'adjudant secrétaire, qui est major de cantonnement, il me dit : "c'est le commandant du génie, il loge la dernière maison à droite, sur la route de Saint-Christophe." D'Attichy où nous étions à Berneuil, il y a environ quatre kilomètres. Nous traversons en ligne droite tout le patelin. Arrivés au cantonnement du génie, je demande le major de cantonnement. On me dit que c'est le commandant de l'artillerie, il habite une belle maison à droite, sur la route de Breuil-Lamotthe, avant la sucrerie. Nous faisons demi-tour. Arrivés à la belle maison, je frappe, c'était les officiers qui étaient à souper. Un lieutenant vint ouvrir, je demande le commandant qui me dit : "vous allez en équipe agricole, ce n'est pas moi que ça regarde, il faut vous adresser au maire, c'est lui qui vous a demandé. Il loge à la dernière maison à droite, sur la route d'Attichy, il y a un petit jardinet devant." Encore un demi-tour ! Arrivés chez le maire, je frappe. Une femme vint ouvrir, en voyant des soldats en armes (car nous avions tout notre fourbi), elle recule d'au moins trois mètres en le couloir. Elle dit : "c'est des soldats." Le maire, sans se déranger, car nous l'avons pas vu, demande ce que nous voulons. Je lui explique, il me dit : "adressez-vous au directeur de la sucrerie, c'est lui qui vous a fait demander." Arrivés à la sucrerie, on entre dans la cour, voyant de la lumière, je frappe. C'était les sous-officiers de l'artillerie qui faisaient la nouba. Je demande où loge le directeur, on me répond : "il y a longtemps qu'il est couché, il faut vous adresser au chef de culture. Il habite à la dernière porte du bâtiment, sur la route en direction du bourg". Encore demi-tour ! On longe le bâtiment, je frappe à la dernière porte, enfin le chef de culture qui nous dit : "je ne m'attendais pas en vous, ce soir". Il nous conduit à côté où étaient déjà les quatre bretons. Nous déposons notre barda puis on va avec lui chercher des bottes de paille pour faire notre lit. Là, on a vu le directeur qui faisait, sans doute, une ronde pour voir si des soldats ne lui chipaient pas de la paille, car il nous a interpellés mais comme le chef était avec nous... A la sucrerie, ils avaient, cette année-là, 30 hectares de betteraves à sucre dont 20 dans la même pièce de terre en bordure de l'Aisne, qui furent expédiés par bateau, les autres par wagons, la sucrerie étant trop près des lignes. On l'a visitée avec le chef qui nous a expliqué le fonctionnement. Les betteraves passaient en une canalisation qui les lavait, puis amenées au broyeur par une vis sans fin, puis dans d'énormes chaudières où elles étaient distillées. Le sucre sortait en vapeur puis refroidi tombait en granulé. Dans le premier sac, le plus blanc, dans le troisième, le sucre roux. Ils avaient à la sucrerie, en temps de paix, trente deux bœufs de travail. Au moment où j'y étais, ils n'en avaient plus que seize. Une grande partie des terres, sur le plateau de Quennevière, était occupée par les tranchées. Pour leurs seize bœufs, ils n'avaient que quatre noms, c'était toujours les mêmes attelages, aussi n'importe quel bouvier n'avait pas à se tromper. Je me rappelle de leurs noms : Joli-Mouton pour les devants et Tambour-Major pour les autres. Pour labourer ou charroyer c'était toujours quatre bœufs. Nous chargions les tombereaux de betteraves, aussi pendant que le bouvier le conduisait au bord de la rivière, nous avions bien le temps de faire une cigarette. C'était des artilleurs qui avaient travaillé une partie de l'été à la sucrerie qui chargeaient les bateaux, ils en mettaient 70 à 72 tonnes par bateau.

Croix de guerre

En l'hiver de 1916 à 1917, que nous bêchions de la pierre, il était venu un détachement du train des équipages. Pour la transporter, comme il leur fallait trois chevaux pour rouler un tombereau de pierre, un homme de ma compagnie aidait le tringlot. Un jour, ils passaient devant une batterie d'artillerie, au moment où les boches tiraient sur la batterie. Le fantassin laissa son attelage et alla se mettre à l'abri avec plusieurs artilleurs. Un obus tomba près d'eux, il fut blessé ainsi que plusieurs artilleurs. Il eut la croix de guerre. Le pauvre tringlot qui avait continué sa route avec ses trois chevaux ne fut pas blessé mais ne fut pas non plus décoré. Si le fait mérite une croix de guerre, qui donc l'avait méritée ?

Du 1er janvier au 15 février 1917; le Régiment continue les travaux de route.
Le 15 février, il est remis à la disposition. du 13e C. A., sauf le 1er Bataillon qui est employé à la construction de la voie de 0 m 60.
Le 22, mars, le Régiment est à Noyon et Guiscard.
Au début d'avril, dans la région de Ham, les bataillons regroupés
continuent leurs travaux de défense; puis, dans la région de Noyon à la
disposition de la 26e D. I.
Le 13 avril, jour de l'offensive de la 26e D. I. sur Neuville-Saint-Amand,
les compagnies du 1er Bataillon sont à la construction des hoyaux et
également au ravitaillement.
La nuit a été des plus pénibles en raison du froid et du feu violent de
l'ennemi.
Pendant cette période, les pertes ont été les suivantes :
Un Officier blessé .
Sous- Officiers et Soldats Tués: 5.Blessés : 39.
Au début de février 1917, j'avais quitté ma compagnie pour aller au ravitaillement du régiment, il y avait du travail, mais on était bien nourri. Nous suivons la retraite allemande, nous passons Noyon, Guiscard et on s'arrête un peu plus loin à Berlancourt où nous restons deux mois. Nous ravitaillons les compagnies aux environs de Ham, puis nous cantonnons dans un autre patelin plus près de Ham où nous embarquons au début de juillet pour débarquer à Longeville près de Bar-le-Duc où nous restons 15 jours.

Le Zeppelin

Le 17 mars 1917, nous étions à Coudun, non loin de Compiègne, nous sommes réveillés par des tirs d'artillerie qui paraissaient près de nous. C'était une pièce anti-aérienne qui tirait sur un dirigeable allemand. Il nous paraissait gros comme un fût de cent dix litres et moitié plus long. La pièce tirait avec des obus incendiaires, aussi nous pouvions suivre la trajectoire de l'obus, enfin une le traversa et y mis le feu. Nous avons assisté à son agonie, il se détacha en trois morceaux. D'où nous étions, on entendait clairement les boches hurler. Combien étaient-ils ? On ne l'a jamais su. Une partie sont tombés dans la rivière, l'Oise. Le 19 mars, je partais en permission, aussi, il n'était pas rare de voir, en gare de Compiègne, des permissionnaires avec des débris du dirigeable. C'est le seul que j'ai vu pendant la guerre.

La fiche militaire indique qu'il est passé au 17e RIT le 1er juillet 1917 ?
Le 3 Juillet, le 71e Territorial est embarqué à Ham et débarque le 5, à Longeville (Meuse).
Le 18, le Régiment est embarqué en autos et mené :
L'E.-M. et le 2e Bataillon, à Ville-sous-Cousances.
Le 1er Bataillon, au Camp du bois de Feuchères.
Les unités sont mises à la disposition des : 73e D. I., Génie du 13e C.A., Artillerie du 13e C. A., et sont employées au transport des Munitions et à l'aménagement des abris et des routes aux bois des Feuchères, de Bethelainville, au Camp du Plateau, Côte 304 route d'Esnes à Avocourt.
Les 19, 20 et 21 août,. toutes les unités sont spécialement employées
au portage des munitions.
Dans son Ordre n° 115 du 22 août, le Général commandant la 120e D.I. adresse ses félicitations à toutes les troupes ayant participé à la défense
de la Cote 304 et notamment aux compagnies de travailleurs du 71e
Territorial qui ont fourni un effort considérable pour aménager des
communications que la pluie et les obus ont rendu, chaque jour, de, plus
en plus impraticables. Ces troupes ont fait leur devoir en se dépensant
sans compter pour ménager les troupes d'attaque et ont largement contribué au succès.
Pendant cette période, les pertes ont été les suivantes :
2 Officiers tués .
Sous- Officiers et Soldats Tués: 18. Blessés : 129.
Puis le régiment monte vers Verdun du côté de la cote 304 où nos troupes attaquent le 20 août. Le ravitaillement va cantonner à Ville-sur-Cousances. Je me rappelle ce matin du 20 août, le canon avait tonné toute la nuit, nous allions ravitailler près de Clermont-en-Argonne, le ciel était noir de fumée. Puis nous croisons des camions de blessés et des convois de prisonniers.
Le 30 août, je suis envoyé à la compagnie de garde de l'état-major de la 2e armée à Souilly (Meuse). Affecté pendant deux mois à un poste d'incendie près des baraquements qui abritaient les bureaux de la direction de l'artillerie et de l'aviation. Nous avions une motopompe. Puis comme planton au service géographique, j'aimais mieux ça, car si j'avais du travail le matin à nettoyer le baraquement où travaillaient 18 à 20 dessinateurs, en plus trois bureaux de capitaine, après ce n'était qu'une distraction que d'aller porter un pli ou en chercher dans les différents bureaux de l'état-major. J'allais surtout à la direction de l'aviation chercher les photos aériennes. Au cours de mon service, j'ai vu et entendu parler le ministre de la guerre du Japon, il faisait un discours sur le perron de la mairie de Souilly où était le bureau du général commandant la 2e armée. Plus tard, j'ai vu une mission brésilienne qui était venue visiter les services de l'état-major. Je suis resté à ce poste jusqu'au 5 novembre 1918. C'est le meilleur temps que j'ai passé à la guerre.

Les prisonniers

A l'attaque du 20 août 1917, nos troupes avaient fait 18 à 20 mille prisonniers. Il y en avait encore 12 mille dans un camp, près de Souilly, dans les premiers jours de septembre. Étant à l'état-major, je vais, un soir, avec plusieurs camarades, voir la distribution de la soupe. Il est lamentable, quand on est père de famille, de voir des hommes traités de la sorte. C'était nos ennemis, il est vrai, mais il fallait bien penser que nos prisonniers étaient traités chez eux de la même façon. La plupart n'avaient, pour recevoir leur maigre pitance, qu'une boîte de conserve, et quand ils attendaient pour voir s'ils allaient en recevoir davantage, c'était un coup de botte dans le derrière qu'ils avaient comme rabiot. Leurs cuistots étaient des Alsaciens, Lorrains et des Polonais, aussi, quand il en partait un détachement, encadré par des chasseurs à cheval, ils paraissaient contents de partir pour l'intérieur.

Un brave homme

Au mois d'octobre 1917, étant de service à un poste d'incendie, près des baraquements de la direction de l'artillerie et de l'aviation, le général commandant l'artillerie de la 2e armée faisait tous les matins sa petite promenade. Il passait près de notre poste. Un matin, un commandant d'artillerie vint à sa rencontre. Après l'avoir salué, il lui dit :

-"mon général, je viens vous rendre compte de ma mission. Toutes mes pièces de canons ont été détruites, mes hommes ont compté plus de huit cents obus qui sont tombés dessus."

Le général lui dit :

-"en hommes, quelles sont vos pertes ?" - "Mon général, je n'ai pas un homme de blessé, nous avions de bons abris, aux premiers obus, ils se sont abrités."

-"Mon commandant, je vous félicite, car si les canons se remplacent, les hommes ne se remplacent pas."

Ceci se passait à quelques mètres de nous. Quand je fus planton, j'allais de temps en temps à son bureau, il m'a demandé de quel département  que j'étais, ce que je faisais, quel genre de culture que nous faisions en le Maine-et-Loire, il m'a dit qu'il avait une propriété en Seine-et-Marne, en très bonne terre. C'était un brave homme.

Le capitaine Crèscq

L'un des trois capitaines à qui je faisais les bureaux au service géographique, le capitaineCrèscq était un bon dessinateur. Il faisait de très belles cartes en couleur, les prés en vert clair, les bois en vert sombre, etc... Mais, qui n'avaient rapport avec la conduite de la guerre, c'était plutôt des ornements de salon. Il tomba malade, fut plusieurs mois absent. Tout alla aussi bien, de temps à autre il venait le soir, vers quatre heures, dans la salle, barber les dessinateurs sur la valeur du point, du trait, des chiffres, etc... Un soir, passant près de moi, il me dit : "planton, mon poêle le chauffe pas." Je vais lui rallumer son poêle et j'y mis pas mal de charbon. Comme tous les jours, à la même heure, son ordonnance lui apportait une gamelle de lait qu'il déposait sur le poêle. Un moment après, je vais voir si le poêle chauffait, je vis que le lait passait par-dessus le bord de la galtos. Je refermais la porte du bureau, puis je partis manger à ma compagnie. Le lendemain, je fourbis le poêle mais avant j'avais fait voir ça à plusieurs dessinateurs qui m'ont dit :"ce n'est pas étonnant qu'il a tant bougonné quand il est rentré à son bureau."

 
Quand, au début de juillet 1917, nous avons débarqué à Longeville près de Bar-le-Duc, nous y restons 15 jours. Notre cuisinier avait trouvé pour nous faire la popote, chez la femme du vétérinaire de Longuyon qui était évacuée là. C'est elle qui nous préparait la cuisine aidée de notre cuistot. Quand nous arrivions pour manger, point besoin de gamelle, ni de quart, ni de bidon, le couvert était prêt avec des litres de vin sur la table. Pendant que nous avons fait popote chez elle, il ne lui coûta rien pour vivre avec sa petite fille de huit à dix ans, que de la salade de son jardin. Aussi, le soir, quand il y avait du travail à faire au jardin, ce n'était pas les bras qui manquaient. Nous avons été vraiment bien. Quand nous sommes partis, il lui restait 15 à 20 litres de vin, et pas du moindre, ainsi que du sucre et du café. Mais quand le régiment monta vers la côte 304, nous allons cantonner à Ville-sur Cousances. Là, nous sommes en plein champ. Il nous fallait, en revenant de ravitailler, prendre de l'eau potable à une prise d'eau. Nous regrettions la brave femme du vétérinaire.

La croix de guerre

J'avais, à l'état-major, un camarade qui était venu de je ne sais quel régiment. Il avait la croix de guerre. Un jour, on lui demande ce qu'il avait fait. Il nous dit : "je vais vous dire ma citation, mais vous saurez tout d'abord que j'étais cuisinier des sous-officiers, voici ma citation : Soldat de 2e classe Fillon Désiré matricule 3428, a, par un feu ardent, préparé le café pour les sous-officiers." Et il ajoute : "s'il n'y avait pas eu de feu, je n'aurais pas fait de café."

Puis les territoriaux chargés de famille sont envoyés au service des chemins de fer. Je quitte, avec mes camarades, l'état-major le 6 novembre. Nous sommes envoyés à Paris où nous arrivons le 8 au soir à la gare de l'Est. On nous emmène coucher dans une annexe de l'imprimerie Nationale, 80 rue de la Convention. Comme literie : du ciment ! Nous restons deux jours à Paris. Le 10 au soir, avec plusieurs camarades, on prend le train à la gare du Nord pour Abbeville (Somme) où je reste quelques jours, puis envoyé à la gare de Noyelles-sur-Mer à 14 kilomètres d'Abbeville, sur la ligne de Paris-Boulogne. Là, je fais le lampiste, ce n'est pas dur mais pas très propre. On était payés 9 francs 20 par jour, seulement, il fallait se nourrir. On nous servait à la cantine des cheminots un repas pour 32 sous, ils n'étaient pas gracieux, sans pain, car à ce moment-là on avait la carte de pain et de sucre. Affecté à la classe 1897 le 27 septembre 1917 ayant eu son 4e enfant vivant le 12 octobre 1911.
Enfin, le 11 janvier 1919, nous prenons le train pour Angers. Nous partons d'Abbeville à 11 heures, arrivés à Paris gare du Nord, on prend le métro pour la gare d'Austerlitz. Nous arrivons à Angers le dimanche 12 à 2 heures du matin. Je fus démobilisé dans la matinée à la caserne du génie, mais je fus obligé d'attendre le train du soir pour Durtal. Mis en congé illimité de démobilisation le12 janvier 1919
Pour visualiser des images du 71e RIT, voir celles du lieutenant Leclerc:  http://www.grande-guerre-anjou.fr/fileadmin/ad49/espace_pedagogique/outils/a_propos/24-Des_Angevins_au_front_pendant_la_GG.pdf